La loi n° 2024-322, dite loi « Habitat dégradé », promulguée le 9 avril 2024 et publiée au JORF le 10 avril 2024, renforce les dispositifs juridiques visant à lutter contre les situations d’habitat indigne. Cette loi poursuit trois objectifs : prévenir la dégradation de l’habitat, accélérer la réhabilitation de l’habitat dégradé et lutter contre les marchands de sommeil.
En matière de maitrise foncière, elle crée une nouvelle procédure d’expropriation permettant d’intervenir en amont d’une détérioration irréversible qui rendrait la démolition de l’immeuble dégradé inévitable. L’analyse ci-après se focalise sur (I.) le champ d’application de cette procédure ainsi que sur (II.) ses modalités de mise en œuvre, largement inspirées de la procédure dite « loi Vivien* ».
Le champ d’application de la nouvelle procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique
La création d’un nouveau chapitre dérogatoire au régime général de l’expropriation
Pour rappel, avant l’adoption de la loi Habitat dégradé et par dérogation au régime général de l’expropriation, seuls pouvaient être expropriés les immeubles ayant fait l’objet d’un arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité « ayant prescrit la démolition ou l’interdiction définitive d’habiter »1 (procédure dite « Loi Vivien »).
La loi Habitat dégradé introduit une nouvelle procédure spéciale ad hoc d’expropriation des immeubles indignes à titre remédiable, autorisant les personnes habilitées à prendre possession des lieux de manière anticipée, afin de procéder à la rénovation du bâti au début de son cycle de dégradation.
Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel2 et sur le modèle de la procédure « loi Vivien », cette nouvelle procédure d’expropriation ad hoc est encadrée et limitée à un objet précis, selon les conditions et modalités définies au sein du nouveau chapitre II du Livre V du titre 1er du CECUP, intitulé « Expropriation des immeubles indignes à titre remédiable ».
Ce nouveau régime dérogatoire se traduit par une accélération de la phase administrative de la procédure d’expropriation.
L’utilité publique de l’expropriation est ainsi préétablie par la loi, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une enquête publique, et la puissance publique n’a pas à justifier de l’emploi ultérieur qu’elle fera des lieux.
Des conditions strictes d’application
Conformément à l’article L. 512-1 du CECUP, l’État, une société de construction dans laquelle l’État détient la majorité du capital, une collectivité territoriale, ou un concessionnaire d’une opération d’aménagement peuvent engager une procédure d’expropriation des immeubles bâtis, ou parties d’immeubles bâtis, sous réserve de remplir les conditions cumulatives suivantes :
- L’immeuble visé a fait l’objet de deux arrêtés de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité dans les 10 dernières années. Ces arrêtés prévoient des mesures visant à remédier à la situation, mesures qui n’ont pas été intégralement exécutées ou pour lesquelles il a fallu procéder à une exécution d’office4;
- Un rapport des services municipaux, intercommunaux ou de l’Etat compétents ou d’un expert désigné par l’autorité compétente atteste de la nécessité de la prise de mesures de remise en état de l’immeuble pour empêcher la poursuite de sa dégradation5;
- Dans le cas où l’immeuble visé est utilisé à des fins d’habitation, qu’il est occupé, et que la réalisation des travaux de remise en état ou la préservation de la santé et de la sécurité des occupants nécessite une interdiction temporaire de résidence6, un projet de plan de relogement est établi7, garantissant ainsi la protection des occupants.
Des modalités de mise en œuvre largement inspirées de la procédure « loi Vivien »
L’adoption d’un arrêté préfectoral 5 en 1
Par analogie avec la procédure « loi Vivien » et afin d’anticiper l’intervention des autorités compétentes pour la réalisation des travaux sur les biens concernés, le préfet est tenu, par un seul et unique arrêté8, de :
- Déclarer l’utilité publique de l’expropriation, sans enquête préalable, légitimant ainsi la mise en œuvre de mesures d’expropriation ;
- Désigner la collectivité publique ou l’organisme au profit duquel l’expropriation est poursuivie ;
- Déclarer cessibles les immeubles, parties d’immeubles, installations et terrains concernés par la procédure et ;
- Fixer le montant de l’indemnité provisionnelle allouée aux propriétaires et aux titulaires de conventions d’occupation à usage autre que d’habitation ;
- Fixer la date de prise de possession anticipée après le versement ou la consignation de l’indemnité provisionnelle. Cette date doit être postérieure d’au moins deux mois à la publication de la déclaration d’utilité publique.
Dans le mois qui suit la prise de possession, le préfet poursuit la procédure d’expropriation dans les conditions prévues de droit commun9.
L’évaluation de l’indemnité de dépossession via la méthode par comparaison
Tandis que dans le cadre de la procédure « loi Vivien », l’indemnité de dépossession est en principe calculée selon la méthode dite de « récupération foncière »10, compte tenu de l’inévitable démolition de l’immeuble en cause, la nouvelle procédure prévoit que la valeur du bien pour lequel l’indignité est remédiable est estimée11 :
- soit par référence à des mutations ou accords amiables portant sur des biens comparables situés dans le même secteur ;
- soit, dans l’hypothèse où ces références seraient en nombre insuffisant, par référence à des mutations ou à des accords amiables sur des biens de meilleure qualité avec un abattement défini en fonction de la dépréciation résultant de la dégradation et de l’insalubrité du bien.
Étant précisé que dans le cas où l’arrêté aurait prescrit une interdiction temporaire d’habiter et que le propriétaire n’aurait pas procédé au relogement des occupants, l’indemnité est réduite du montant des frais de relogement exposés par la collectivité12. Le refus, par les occupants, du relogement offert par l’expropriant autorise leur expulsion sans indemnité13.
1 Article L. 511-1 et suivants du CECUP.
2 Décision n° 2010-26 QPC du 17 septembre 2010 qui déclare la loi Vivien conforme à la Constitution.
3 Articles L. 512-1 à L. 512-6 du CECUP.
4 Article L. 512-1, 1° du CECUP.
5 Article L. 512-1, 2° du CECUP.
6 Article L. 512-1, 3° du CECUP.
7 Conformément aux articles L. 314‑2 à L. 314‑9 du code de l’urbanisme.
8 Article L. 512-2 du CECUP.
9 Article L. 512-3, al. 1 du CECUP.
10 Article L. 511-6 du CECUP, la méthode de « récupération foncière » correspond à la valeur du terrain nu déduction faite des frais entraînés par la démolition.
11 Article L. 512-5 du CECUP.
12 Article L. 512-6 du CECUP.
13 Article L. 512-3, al. 4 du CECUP.
Abréviations
CECUP : Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
JORF : Journal Officiel de la République Française.
* Loi n° 70-612 du 10 juillet 1970, dite « loi Vivien », tendant à faciliter la suppression de l’habitat insalubre qui instaure une procédure d’expropriation spécifique et dérogatoire pour les immeubles dont l’état d’insalubrité est irrémédiable.